Chapitre 1 [Merryl]

San Francisco, une chouette ville! Enfin je crois...

Pour être tout à fait honnête, je suis arrivée il y'a quelques heures à peine. Je devrai

rejoindre mon frère et son patron, je suis sensée habiter avec eux mais voilà,

maintenant que je suis ici, j'hésite.

Pas envie! Le blues du dépaysement je suppose...

Bref, il pleut et je suis assise comme une idiote sur les marches de ma future Fac'

à regarder l'eau tomber sur le goudron sans parvenir à me décider et à bouger de là.

Je pourrai au moins appeler mon frère Shaant, histoire de le prévenir, qu'il ne

s'inquiète pas! Mais je traîne et je me répète en boucle qu'il comprendra ce silence

radio de quelques heures.

Ah oui! Excusez-moi! J'en oublierai presque le plus important!

Cette dépressive qui se morfond toute seule sous la pluie en bon cliché de série B

américaine c'est moi! Merryl Harvey, 21 ans, brune, yeux vert... Je cultive l'art de la

chance tout en pouvant me vanter d'être aussi naïve qu'un chaton et plus lunatique

qu'une cocaïnomane, passant en quelques secondes de l'état léthargique d'une

limace grabataire à la vivacité d'une groupie de Tokio Hotel qui vient d'apprendre

que les jumeaux Kaulitz viennent emménager en face de chez elle.

Et en l'occurence, à l'instant, je suis plutôt en mode Limace.

Hey! Je viens de quitter famille et amis pour partir à l'autre bout du pays, chez un

frère que je n'ai plus vu depuis 5 ans, pour étudier. Même avec toute la motivation

du monde, personne ne pourrait garder la pêche!

" - Je savais pas qu'on pouvait trouver ça fun de rester sous la pluie!" Minaude une voix masculine dans mon dos.

 Non mais je t'en prie! Viens t'incruster dans ma méditation sinistre je t'en voudrai

pas! Tsss! Tsss! J'étais presque parvenue à me décider quant à savoir s'il valait

mieux appeler Shaant tout de suite ou visiter un peu le bâtiment avant!

Oui, par moment mon esprit est incontestablement occupé par de grands débats

philosophiques! J'en suis consciente!

" - Heu, et bien en fait..."

Je me retourne et fais face à mon gêneur.

Ho merde!

C'est qu'il est mignon en plus! Bon je fais quoi? A part bafouiller comme une ado

boutonneuse histoire de me ridiculiser pour de bon!

" - Je viens de m'inscrire, et j'étais venue visiter mais je n'ai pas osé rentrer..."

Mwahaha! Et dire que je voulais éviter d'avoir l'air ridicule! Chapeau ma grande!

" - Sans rire?! T'as peur de te perdre?

- Heu ... Non!!! Pas du tout! C'est juste que.. Enfin je sais pas!

J'suis pas sûre d'avoir envie c'est tout!!! "

On parie qu'il est en train d'envoyer en douce un SMS à l'asile le plus proche?!

" - Je comprend. T'es pas d'ici et tu ne connais personne.

Je me trompe? "

Dis donc mon coco! On t'as jamais dit que c'était très malvenu de lire dans les

pensées des femmes?!

Il a néanmoins raison. Le fait est que j'ai pas envie de voir tout un tas de groupes

de jeunes de mon âge en plein flagrand délit de démonstration poussée d'amitié.

Tout comme j'aimerai éviter au maximum une confrontation directe avec un frère

absent depuis bien trop longtemps dont les envies de réconcilliation ont autant de

sens à mes yeux qu'un problème de mathématiques en enseignement supérieur.

(Mais pour le cas de famille, il risque d'avoir un peu de mal à deviner...)

" - En gros, c'est exactement ça oui! "

Voyons voir... Allez! Au pif, je parie sur un master en psycho! Vous allez voir qu'il

va me filer une carte de visite avec le montant de ses honoraires cet oiseau là!!!

" - Allez, entre! Personne te mangera!!! Si tu as un

problème reviens me voir. Je suis en troisième année de

Biologie environnementale. Autant dire que je commence à

connaître cette fac comme ma poche! "

Oui bon...

Psycho... Biologie environnementale... C'est pareil !

A part le remercier et suivre son conseil, je ne sais pas trop ce que je pourrais bien

ajouter. La conversation c'est mon truc d'habitude mais là, mon état psychologique

reste encore un peu trop perturbé pour ce genre d'exercice. En fait, ma langue semble

vouloir s'obstiner à ne bouger de mon palet que pour emmettre quelques pauvres

"Heu" "Ah!" "Oui" "Peut-être". Bref, encore une minute de plus en sa compagnie et

je vais réellement finir par avoir la réputation d'une débile profonde.

Finalement, j'ai donc finit par abandonner mon ami de presque-psycho-biologie

environnementale.

                                                     Enfin, quand je dis "abandonner"

Disons surtout que face à mon mutisme il s'est retrouvé dans la malheureuse

obligation de me lâcher comme une vieille merd.. chaussette trouée, pour aller

rejoindre un groupuscule de jeunes gens amateurs de veste à carreaux et bonnets

crasseux que je soupçonne être ses amis.

                    Enfin bref...

Tout ça est bien dommage : c'était la première figure sympathique que je croise

depuis les 1500 Km qui séparent Denver de San Francisco.

(Non, ni l'homme d'affaire faschiste et un tantinet perturbé

sexuellement assis à côté de moi dans l'avion et ni le chauffeur

de taxi alcoolique qui m'a amené ici ne m'ont inspiré une

quelconque sympathie!)

Et j'ai même pas pensé à prendre son nom... Gourde! Gourde! Grosse Gourde!!!

Tant pis, appelons-le Ralfy. A défaut d'avoir la classe, ce prénom m'a toujours

inspiré un je-ne-sais-quoi de rassurant et de doux. Peut-être à cause de mon

premier ours en peluche que ma mère avait nommé comme ça... Ou bien à

cause du chat de mon ex voisine de palier ou alors...

" - ATTENTION CHAAAAAUD DEVAAAANT!!!! " Résonne brusquement une voix fluette au détour d'un couloir.

Pas le temps de chercher le pourquoi du comment de la raison de ce cri venu de

je ne sais où que BANG! Je me receptionne de plein fouet un éclair rouge qui

envoie gracieusement mon adorable popotin aller faire ami-ami avec le carrelage

du couloir.

Quelle classe!